Opinion Accès aux soins médicaux

Une mesure simple pour réduire les délais d’attente

Qui n’a pas fait un jour le pied de grue et attendu en vain une personne qui lui a fait faux bond ? Désagréable expérience, soit, mais poser un lapin à grande échelle est autrement plus néfaste.

Pendant que les partis politiques se disputent sur les façons de surmonter la sempiternelle crise du régime public de santé, des milliers de Québécois boudent leurs rendez-vous et leurs opérations sans les annuler. Un engagement rompu, un lapin, qui a de lourdes conséquences sur l’accès aux soins et allonge les délais d’attente.

Selon les données les plus récentes du ministère de la Santé et des Services sociaux, seulement 68 % des consultations auprès des médecins spécialistes du Québec sont réalisées dans les délais requis. À Montréal, c’est 43 %, avec un temps d’attente moyen de 128 jours (La Presse+, numéro du 12 novembre). Malgré 13 ministres de la Santé différents, péquistes comme libéraux, la gestion étatique de la santé ploie toujours sous une pluie de critiques.

Chaque campagne électorale nous ramène le procès de ministres de la Santé fautifs et la promesse d’un futur miracle man. Or, si l’on cessait un moment de regarder du côté de l’État et qu'on se tournait plutôt vers le simple citoyen, il y aurait, à la portée de tous, une mesure qui, sans être une panacée, pourrait améliorer l’accès aux services de santé.

Cette mesure, toute simple, serait d’avertir dans un délai raisonnable qu’on désire annuler le rendez-vous médical ou l’opération qu’on nous a assigné.

Cette mesure est malheureusement loin d’être appliquée.

Seulement au CUSM, plus de 46 000 consultations ont été perdues l’an dernier, et 256 opérations ont été annulées à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont en raison de patients qui ont fait faux bond. Ainsi, les listes d’attente s’allongent, car lorsqu’un patient ne se présente pas, le médecin ne peut en voir un autre à la place déjà assignée et un nouveau rendez-vous est donné au poseur de lapin.

Toutes les spécialités y goûtent, même l’oncologie. « C’est épouvantable, dénonce le chirurgien Roger Grégoire, du CHU de Québec. Le plus frustrant, c’est que tu sais qu’il y en a 150 qui attendent pour être vus et qui t’appellent à ton bureau. » (TVA Nouvelles, 15 août 2018)

Il semblerait même que le nombre de no-show augmente les jours de beau temps. Il est vrai que la carte soleil, dans sa dernière mouture, a perdu ses couleurs depuis janvier dernier !

L’irresponsabilité heureuse

Le même citoyen qui embrasse, ému, toute la misère du monde et communie à toutes les liturgies d’indignation-spectacle ignorera par contre les patients sans visage qui auraient pu rencontrer un médecin, n’eût été sa négligence à annuler un rendez-vous. De l’« irresponsabilité heureuse », aurait dit l’essayiste Pascal Bruckner. Ouvrant son cœur à l’humanité en général, ce citoyen ne se sent obligé envers personne. Rappelons-lui qu’il ne saurait cependant y avoir de droit sans devoir et réciproquement.

« La notion d’obligation prime celle de droit, qui lui est subordonnée et relative, a écrit la philosophe Simone Weil. Un droit n’est pas efficace en lui-même, mais seulement par l’obligation à laquelle il correspond. » Le devoir est plus que l’ombre du droit, c’est son préalable. Tout comme il y a un devoir civique de voter, sous-entendu au droit de vote. L’absentéisme aux urnes met en effet en lumière une autre sorte d’irresponsabilité en démocratie.

À la décharge du patient négligent, on pourrait blâmer l’imperfection du mode de prise de rendez-vous de l’appareil médico-hospitalier. Pourtant, beaucoup de patients déjouent les files d’attente et prennent plus d’un rendez-vous avec divers médecins en espérant le rendez-vous le plus rapide. C’est donc que le système de prise de rendez-vous fonctionne assez bien.

Sans attendre la prochaine réforme du système de santé, aidons-nous maintenant en honorant nos rendez-vous médicaux. Une mesure à la portée de tous pour améliorer l’accès aux soins.

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